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Nous effaçons les peurs collectives de nos mémoires. Nous désirons plus que tout saisir au passage les plaisirs de la vie. Les autruches aussi mettent la tête dans le sable pour ne pas voir le danger. En septembre 1950, quatre années après la guerre, le poète et résistant Paul Eluard, écrit un poème dont le titre est, « Pouvoir tout dire ».
Les quatre premiers vers sont explicitent. Le poète sait ce qu’il devrait dire du monde, mais qu'il n'exprime pas.
Le temps est de tout dire et je manque de mots
Et je manque de temps et je manque d’audace
Je rêve et je dévide au hasard mes images
J’ai mal vécu et mal appris à parler clair
Ces mots nous concernent tous, que nous en ayons conscience ou non. Bien sûr, nous avons des souvenirs et nous les partageons généralement avec plaisir. Mais quelle est la part de nos mémoires collectives dans ce partage ? Et plus encore, de cette mémoire de ce que nous avons appris sans que cela nous concerne directement. Par exemple, de ces viols, collectifs ou non, de ces massacres qui outrepassent les nécessités de la guerre, des mépris que la majorité a de ceux qui ne lui ressemblent pas, etc.…
Au mieux non fécondé, qu'avons-nous de ça en nous, hommes ordinaires?
Paul Eluard ne se dissocie pas de ça. Il en exprime simplement la conscience dans ce long poème. Au fil de ce qu’il décrit comme l’impuissance à exprimer par des mots ce qui fait notre existence, de la nature à l’amour, de la famille et des enfants, enfin de tout ce qui nous habite, les réponses viennent sous forme de questions.
…Et le bonheur d’un homme aurai-je la vaillance
De le dire selon sa femme et ses enfants…
…Pourrais-je comparer le besoin au désir
…Et l’ordre mécanique à l’ordre du plaisir…
…Aurai-je assez de mots pour liquider la haine
Par la haine sous l’aile énorme des colères
Et montrer la victime écraser les bourreaux…
Alors, si l’usage de ces mots s’incruste en nous, comme une nécessité,
Il faudra rire mais on rira de santé
On rira d’être fraternel à tout moment
On sera bon avec les autres comme on l’est
Avec soi-même quand on s’aime d’être aimé
Les frissons délicats feront place à la houle
De la joie d’exister plus fraîche que la mer
Plus rien ne nous fera douter de ce poème
Que j’écris aujourd’hui pour effacer hier.
Mais Eluard dans le poème qui suit corrige ce bel optimisme,
…Rien qu’un homme se heurte au temps
Le mal l’absorbe en son naufrage.
Et,
Hommes de l’avenir il vous faut voir hier
Je vous parle des morts qui sont morts sans printemps
Aujourd’hui, j’ai du mal à rire, à aimer, à prendre le plaisir de vivre ce jour. L’Ukraine, Gaza, les terroristes, les racistes, les antisémites, les violeurs, les radicaux antis-à-tout, les menteurs à but lucratif, aux lourds passés qui reviennent, et à l’inutile de ce que je viens d’écrire…
Ça ira mieux demain…